David

Je suis sorti du train. Personne pour m’accueillir. C’était le dernier week-end. Celui où l’on fait la fête. Celui où nos amis sont là pour festoyer.

Je n’avais plus d’amis. Tous étaient du côté de Célia, ma copine de l’époque qui avait décidé que, moi rentrant tous les 15 jours, ce n’était pas tenable.

Note pour plus tard: ne pas unir couple et amis, ils choisissent toujours…
Je prend mon sac, trop lourd de 10 mois passés à l’armée. Je le traine jusqu’à chez ma soeur.
Elle s’est remise avec un mec que je ne connais pas encore. Mes parents m’en ont parlé, il est gentil, prévenant, tout le contraire de « l’ancien ».
La soirée se passe, mon nouveau beau-frère rempli tous les critères. J’aime ma soeur, je lui souhaite le meilleur. Elle semble l’avoir trouvé.
Nous nous retrouvons, David et moi, en fin de repas pour célébrer dignement ma libération.
Cécile se couche. Nous ne fumons pas dans la maison et allons sur le trottoir, en avril, en Normandie, pour craquer quelques clopes. Le froid nous transit chaque fois, mais David est là, disponible.
L’alcool aidant je lui expose mon désarrois de ne pas avoir le moindre ami présent. Il reste. Mieux, il se propose, lui l’inconnu, de les remplacer.
Il est drôle, pertinent, foncièrement dans l’instant.
Nous ne sommes que deux, et pourtant il sait être partout à la fois. Ami, confident, familial.
Je le regarde, et je suis heureux pour ma soeur, elle a enfin trouvé l’homme qui lui convient, celui qui saura la rendre heureuse.
David est prévenant, attentionné, attentif, il interroge, il s’intéresse.
Je ne sais pas pourquoi, à un moment, nous sommes sur le trottoir, et la vérité s’impose à moi. La solitude sans doute, le sentiment d’abandon de ceux que je croyais être des amis. Je lui dis tout. Je suis homo.
Il est le premier à m’entendre prononcer ces mots. Le premier en qui j’ai suffisamment confiance pour lui avouer.
Plus rien ne sera pareil après.
Il m’entend, ne me juge pas, me comprend même. Ce secret si profondément enfoui soudainement exposé ne me semble plus si mortel.
David, que je ne connaissais pas il y a 5 heures sait. Il ne me juge pas, ne me cherche pas d’excuse. Sa seule réponse « Du moment que tu es heureux ».
2 ans plus tard, je suis à nouveau en Normandie. J’ai rencontré celui que je pense être l’homme de ma vie. Je reviens célébrer le baptême de Dimitri, je suis le parrain. Mon premier pas dans l’âge adulte. J’accepte une responsabilité d’éducation déjà refusée.
En 2 ans, david ne m’a pas trahi. Il n’a parlé à personne de mon secret encore caché. Il est mon confident. Je n’ai nulle peine à lui dire que je suis amoureux. Lui n’a aucun problème à être heureux pour moi.
Lorsque D. est entré dans ma vie, David a été le premier à le savoir. Il a même été celui qui m’a incité à provoquer la rencontre avec mes parents.
Je suis un homo épanoui et heureux grâce à son regard, son attention, sa façon de ne marquer aucune différence.
Rien ne peut remplacer ce panthéon personnel.
Les années passent, David perd sa maman, son frère, sa soeur… sa tristesse s’installe. Elle laisse un vide que les liquides remplissent peu à peu. Personne ne le voit. Tout le monde trouve une raison. Il est malheureux. Il boit.
Tout le monde sait, personne ne dit rien. David boit encore. Pas comme on boit normalement. Il boit comme on cherche l’absolution. Comme on est en quête d’un oubli.
J’ai l’impression d’être un bastion. Le dernier debout pour lui dire, pour lui faire remarquer. Tout le monde me dit de ne pas en parler, en parler c’est le reconnaitre.
Il me rassure, abjure toute envie, tout besoin. Son alcoolisme est bourgeois. En communauté.
Les années filent encore, et soudain, Dimitri.
OLYMPUS DIGITAL CAMERA
David est mort ce matin.
Comment regretter David? Lequel?
Celui qui ces 5 dernières années a cherché à se suicider lentement? Celui que j’ai serré dans mes bras?
David qui disait que tout allait bien se passer? Ou celui que j’ai porté sur mes épaules jusqu’au bout pour lui dire qu’on l’aime encore malgré ses croyances?
David est mort ce matin.
Quel qu’il soit, il me manque.

4 réflexions sur “David

  1. Quel qu’il soit il restera dans ta mémoire , lui et ce tout qui le compose
    Je pense à ta sœur et la charge lourde sur ses épaules :son chemin est à construire
    Ce chemin si tortueux avec cette vie qui n’ arrête pas de donner les claques dans le cheminement

    J’aime

  2. A te lire, on sent que ce gars là était quelqu’un de bien. La vie l’a maltraité, il a perdu pied.
    Nous ne sommes pas tous capable de rebondir, de voir que cette putain de vie vaut qu’on s’y accroche.
    L’affection et la tendresse des compagnons de route ne sont pas toujours suffisant pour que la p’tite loupiote reste allumée au dedans.
    J’ai eu, j’ai la chance d’avoir trouvé des p’tits cailloux sur ma route, ils sont dans ma poche depuis ce jour d’avril, certains sont arrivés après, d’autres sont à venir…
    Au début c’est toujours effrayant de penser qu’on est heureux de nouveau et puis on se rend compte que c’est ça la vie.
    J’ai le goût du bonheur, le sien était enfoui trop loin pour que ça le maintienne en vie…
    Tu es un de mes p’tits cailloux, mais ça tu le sais.

    J’aime

Laisser un commentaire